SI LA VISION DES CHOSES NOUS RENSEIGNE SUR L'APPARENCE DES CHOSES, L'ODORAT NOUS LIVRE QUELQUE CHOSE DE LEUR SUBSTANCE INTIME

 

La fleur n'a de parfum que si elle laisse diffuser un peu d'elle-même dans l'air qui l'environne. Car l'odeur n'est pas une mystérieuse radiation. Elle naît lorsqu'un peu de la substance des choses, portée par les courants aériens, rencontre quelques-unes des millions de cellules qui forment notre appareil olfactif dans les profondeurs des fosses nasales.

Les neurones olfactifs ne sont pas disposés au hasard. Dans l’épithélium olfactif comme dans le bulbe olfactif ils sont regroupés selon leur type de sensibilité. A toute odeur correspond donc une carte particulière qui s'inscrit dans les couches neuronales. Imaginons un instant que les neurones émettent un signal lumineux lorsqu'un influx nerveux les envahit. Un motif ou "image olfactive" s'éclairerait alors chaque fois que la simple respiration ou le flairage actif conduirait des molécules odorantes à la surface des récepteurs.

Cette façon de considérer le support nerveux de l'odeur comme une "image " d'activité a le mérite de suggérer que le cerveau pourrait traiter le message olfactif comme les systèmes informatiques traitent les formes et les reconnaissent. Cette hypothèse guide les recherches qui s'efforcent de déterminer comment opère le cerveau olfactif pour discriminer les odeurs les unes des autres, les conserver en mémoire et les reconnaître même après un très long délai.

Des questions restent posées sur le fonctionnement du bulbe olfactif et, bien plus encore, sur les autres régions du cortex olfactif, du thalamus, du néo-cortex frontal et du système limbique qui poursuivent l'analyse du message, l'associent aux autres données sensorielles et chargent l'odeur d'une valeur affective.

La polarité affective des odeurs qui sont bonnes ou mauvaises et rarement indifférentes nous renvoie aux parfums. L'hédonisme de la perception olfactive a un profond enracinement biologique. Le plaisir sensoriel est sans doute le moyen pour guider, sans les contraindre, les organismes supérieurs vers les sources de mieux-être, vers les choses et les êtres dont il est bon de s'approcher pour accroître ses chances de survivre et de produire une descendance. L'odorat qui nous renseigne sur la substance des choses est, naturellement, le meilleur messager du bonheur promis ou du danger qu'il faut fuir.

Lorsqu'il crée des formes olfactives originales par le mélange équilibré de constituants dont la vie biologique n'a que faire, le parfumeur pénètre dans le domaine de l'art. Le signe olfactif ne renvoie plus à la substance. Le signifiant est exalté, le signifié déplacé. Mais il reste que l'artiste en parfumerie ne parviendrait pas à nous émouvoir à ce point s'il ne s'adressait qu'à notre esprit. Quelque part dans notre système limbique les notes olfactives ébranlent des fibres qui ont été placées là bien longtemps avant qu'un être vivant ait conçu l'idée de les faire vibrer pour son pur plaisir.

LE SYSTEME OLFACTIF par le Pr. André Holley

(Ancien directeur du Laboratoire de recherches sur l'olfaction (Université de Lyon)